Elsevier

La Presse Médicale

Volume 47, Issue 10, October 2018, Pages 886-891
La Presse Médicale

Revue
Usages et mésusages des benzodiazépines chez les patients souffrant de troubles psychiatriquesUse and misuse of benzodiazepines in patients with psychiatric disorders

https://doi.org/10.1016/j.lpm.2018.10.003Get rights and content

Points essentiels

La population psychiatrique est particulièrement exposée aux benzodiazépines ; elle pourrait être également plus vulnérable vis-à-vis de leurs effets indésirables.

Les benzodiazépines font l’objet d’un mésusage fréquent chez les patients souffrant de troubles psychiatriques, que ce soit en termes de durée, de dose et de nombre de médicaments prescrits de manière concomitante.

Il n’existe pas de démonstration de l’efficacité des benzodiazépines sur la plupart des troubles psychiatriques, y-compris la dépression et le risque suicidaire.

Plusieurs études ont suggéré, chez des patients souffrant de troubles psychiatriques, des associations entre l’utilisation de benzodiazépines et l’aggravation de la dépression, de la désinhibition, du risque suicidaire, de l’anxiété, de l’agressivité, voire une augmentation de la mortalité.

Malgré l’utilisation courante des médicaments benzodiazépiniques par les cliniciens, les études de grande taille et de bonne qualité méthodologique manquent pour documenter les modes d’utilisation des benzodiazépines en population souffrant de troubles psychiatriques, ainsi que leurs risques spécifiques chez ces patients.

On ne sait pas s’il est légitime d’appliquer les recommandations de bonne pratique concernant les benzodiazépines chez les patients souffrant de troubles psychiatriques sévères.

Key points

The psychiatric patients are not only particularly exposed to benzodiazepines; they may also be more vulnerable to their side effects than general population.

Benzodiazepines are frequently misused in psychiatric patients in terms of duration, dose and number of concomitant medications.

There is no evidence that benzodiazepines are effective against most psychiatric disorders, including depression and suicidal risk.

Several studies have shown associations between benzodiazepine use and depression worsening, increased disinhibition, suicide risk, anxiety, aggression, and even mortality in patients with psychiatric disorders.

Despite the common use of benzodiazepine drugs by clinicians, large and methodologically sound studies are lacking to document the patterns of benzodiazepine use in populations with psychiatric disorders and their specific risks in these patients.

It is not known whether it is legitimate to apply the good practice recommendations for benzodiazepines in patients with severe psychiatric disorders.

Introduction

Les benzodiazépines et apparentés (zolpidem et zopiclone) sont des molécules principalement indiquées dans le traitement des troubles du sommeil et des troubles anxieux. Leur utilisation est largement répandue dans la population générale [1]. Une littérature abondante décrit les risques pour lesquels il est établi une association avec l’usage de benzodiazépines dans la population générale, particulièrement la population âgée (troubles cognitifs, psychomoteurs, chute, accidents de la route, tolérance pharmacologique et difficultés de sevrage, dépendance), ainsi que les risques suspectés comme la démence ou la maladie de Parkinson. Pour prendre en compte ces risques, et plus particulièrement la tolérance pharmacologique qui entraîne une perte d’efficacité rapide et des difficultés de sevrage, des recommandations de bonne pratique françaises existent. Elles sont données par le résumé des caractéristiques du produit (RCP), et prônent des durées de traitement maximales de quatre semaines pour les benzodiazépines à indication hypnotique et douze semaines pour les benzodiazépines à indication anxiolytique, y-compris une éventuelle période de décroissance. Elles sont plus larges que les recommandations internationales qui généralement limitent le traitement à quatre semaines pour toutes les benzodiazépines [2]. Elles déconseillent également d’associer plusieurs benzodiazépines ensemble. La Haute Autorité de santé (HAS) préconise d’éviter les benzodiazépines à demi-vie d’élimination longue chez les personnes âgées (plus de 65 ans et polypathologique, ou plus de 75 ans) [3]. Une utilisation ne respectant pas l’ensemble de ces recommandations constitue un mésusage.

La population atteinte de pathologies psychiatriques est nombreuse ; l’ALD 23 (affections psychiatriques de longue durée) était en 2016 la troisième plus fréquente en prévalence (environ 1 350 000 cas) et la quatrième plus fréquente en incidence (environ 180 000 nouvelles exonérations dans l’année), en France. Comme les benzodiazépines sont indiquées dans le traitement de l’anxiété et des troubles du sommeil et que ces symptômes sont fréquents au cours des troubles psychiatriques, ces patients y sont particulièrement exposés. En plus des risques déjà énoncés, ils pourraient présenter des risques particuliers du fait de leurs troubles psychiatriques mais également en raison des perturbations cognitives et des importantes comorbidités somatiques, notamment respiratoires, qui sont associées à ces pathologies et leurs traitements. Pourtant, il n’existe aucune recommandation française sur leur utilisation dans cette population particulièrement vulnérable, les recommandations de la population générale s’appliquent donc a priori à la population psychiatrique.

Cette revue narrative de la littérature a pour objet l’évaluation de l’usage et du mésusage des benzodiazépines dans la population atteinte de pathologies psychiatriques, ainsi que des risques associés à leur utilisation dans cette population, afin d’identifier des particularités propres.

Section snippets

Usage et mésusage des benzodiazépines

L’usage et le mésusage des benzodiazépines en population atteinte de pathologies psychiatriques sont documentés dans 14 des études que nous avons sélectionnées [4], [5], [6], [7], [8], [9], [10], [11], [12], [13], [14], [15], [16], [17]. La plupart des études décrivant l’usage des benzodiazépines ont été menées sur des populations cliniques de patients hospitalisés ; environ un tiers des patients sortaient d’une hospitalisation en psychiatrie avec une prescription de benzodiazépine [4], [5].

Risques associés

Parmi les études sélectionnées, 10 d’entre elles [11], [15], [21], [22], [23], [24], [25], [26], [27], [28] trouvaient des risques associés à l’utilisation de benzodiazépines en population psychiatrique. Le risque le plus fréquemment retrouvé était l’aggravation de la sévérité de la dépression, ou une plus grande chimiorésistance de la dépression. Cette association était rapportée par une augmentation du score total de la Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS) ainsi que de sa partie « affect »

Discussion

Des études évaluant l’usage des benzodiazépines dans la population psychiatrique ont été réalisées dans un nombre conséquent de pays (France, Allemagne, Suisse, Autriche, Suède, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Taïwan). Malgré des disparités nationales, elles montraient toutes que les benzodiazépines étaient largement utilisées chez les patients souffrant de troubles psychiatriques, quels qu’en soient le ou les diagnostics. Cet usage était le plus élevé chez les patients souffrant de

Conclusion

Cette revue de la littérature montre que malgré l’utilisation courante des médicaments benzodiazépiniques par les cliniciens, des études prospectives de grande ampleur sont nécessaires pour mieux documenter les facteurs associés à leur mésusage, ainsi que les risques spécifiques liés à leur utilisation. Ces travaux serviraient de fondement à la création de recommandations particulières de bon usage des benzodiazépines dans la population psychiatrique qui pourrait être non seulement

Financement

cet article est financé par les ressources internes du CR Inserm 1219.

Déclaration de liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (30)

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      Citation Excerpt :

      As long-term treatment is per se a risk factor for dependence and misuse (Brett and Murnion, 2015; Lader, 2011) and is frequent in neuropsychiatric conditions, especially emotional disorders (Dell'osso and Lader, 2013), individuals suffering from emotional disorders may be particularly at risk for the detrimental effects of BDZs and Z-drugs. Also, BDZ or Z-drug misuse are associated with increased depressive symptoms, sleep difficulties, disinhibited behavior, anxiety, aggression, impulsivity, and suicidal risk (Ben-Hamou et al., 2011; Cato et al., 2019; Manconi et al., 2017; Panes et al., 2018; Tiihonen et al., 2012). This study investigated neuropsychiatric distress in high-dose BZD and Z-drug users, with particular attention to emotional symptoms and suicidal risk, examining whether the severity of the BZD or Z-drug use was associated with more pronounced emotional symptoms.

    • Characterization of Severe and Extreme Behavioral Problems in Patients With Alternating Hemiplegia of Childhood

      2020, Pediatric Neurology
      Citation Excerpt :

      Among our patients, benzodiazepines were common offenders among medications for paroxysmal symptoms. Benzodiazepines can cause increased disinhibition and aggression, especially in patients with underlying psychiatric disorders.53 Among antiepileptic drugs, levetiracetam was most associated with negative BAEs, occurring in 73% of our patients.

    • Association between anxiolytic/hypnotic drugs and suicidal thoughts or behaviors in a population-based cohort of students

      2020, Psychiatry Research
      Citation Excerpt :

      However, they did not demonstrate any causality owing to methodological issues, such as confounding bias as suicidal behavior is a multifactorial process. Particularly, as suicidal behaviors might be linked to the condition treated, confounding by indication bias might occur (Costa et al., 2019; McCall et al., 2017; Panes et al., 2018; Zeng et al., 2018). Indeed, no study has shown a prospective association while controlling for depression, insomnia and anxiety symptoms (McCall et al., 2017).

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